L'étude des sociétés anciennes n'est pas sans évoquer le travail du paléon- tologue. De même que celui-ci doit se contenter, pour comprendre ce qui fut un être vivant, d'ossernents la plupart du temps en désordre, l'historien ne dispose que de matériaux squelettiques, de la carcasse du passé. La recherche sur l'Islam médiéval n'y échappe pas. Annales et chroniques, géographies, listes bio-biblio- graphiques, aussi riches soient-elles, ne sont, pour l'essentiel, qu'une collection de dates, de toponymes, de distances, de filiations, le tout sous une forme suc- cincte et dans un état de conservation trop souvent fragmentaire. S'il s' agit sim- plement d'établir une chronologie, ou d'ébaucher une histoire des États, cela suffit sans doute. Quant à une histoire des vivants, c'est une autre affaire. Bien sûr, on entrevoit les gens, leurs habitudes, leurs gestes, grâce aux recueils de jurisprudence, aux manuels de bisba, à une notation ici ou là, au détour d'un récit, d'un poème, et l'on éprouve alors une satisfaction comparable à celle du fouilleur découvrant une empreinte de tégument ou la griffure d'une glissade. Ce n'est pas encore la vie, certes, mais on s'en approche. L'archéologie permet de faire quelques pas supplémentaires. Hélas, il faut dans tous les cas se rendre à l'évidence : aussi minutieuse soit l'enquête, on aboutit toujours à une maison vide.