Transmission et tribulations. Sur l’historiographie de la contagion cancéreuse à la Renaissance (Tome 143, 7e Série, n° 1-2, (2022))

Résumé Divers auteurs ont attribué la plus ancienne attestation de l’imputation du cancer à une infection à Amatus Lusitanius (1511-1568) à propos du cas de trois enfants atteints d’un cancer du sein après avoir partagé le lit de leur mère elle-même atteinte de cette tumeur. On reconstruit ici l’écheveau d’informations qui a abouti à ces imputations. Des confusions apparaissent. Ainsi une histoire approfondie et philologique de l’histoire de la médecine à la Renaissance reste à mener à bien.

Prendre en compte des comptes : Scribes, tablettes cunéiformes et historiens du Proche-Orient ancien

Résumé Bien que la documentation cunéiforme du Proche-Orient ancien soit composée essentiellement de textes administratifs, rédigés par les palais, les temples ou des particuliers, les pratiques de comptes en tant que telles ne suscitent en général pas l’intérêt des assyriologues. Ces derniers préfèrent traditionnellement subordonner leur étude à l’histoire quantitative ou bien à l’analyse archivistique. Pourtant, le programme d’histoire concrète de l’abstraction proposé par Jean-Claude Perrot invite à enquêter sur cet objet historique dans la perspective d’une histoire totale, où l’économique pourrait expliquer le social et le politique. Il s’agit de mener de front, d’une part, une démarche réflexive sur la conception de la comptabilité par les historiens mais également par les professionnels des sciences de gestion, et d’autre part, une approche émique qui prendrait en considération les modes d’intellection, le rapport à la matérialité et les motivations d’ordre social et politique des Anciens.

Comment l’histoire intellectuelle peut-elle servir une réforme de l’histoire économique et sociale ?

Résumé Le projet intellectuel de Jean-Claude Perrot a été formé à l’occasion de la préparation de sa thèse sur la genèse de la ville de Caen. Au cours de cette enquête, il a mesuré les limites de l’histoire économique et sociale qui s’imposait alors comme modèle et les apports d’une histoire des connaissances économiques et sociales contemporaines des phénomènes étudiés. Cette vision d’ensemble a mûri pendant une trentaine d’années pour aboutir d’une part à des propositions neuves relatives à l’histoire intellectuelle et d’autre part à un programme historiographique qui conjuguerait ces deux dimensions. Ce programme a inspiré le « tournant critique » de la revue Les Annales (1989) et il a été exploré par ses continuateurs directs ou indirects. Finalement l’article opère une consolidation conceptuelle selon le principe analysé ailleurs par l’historien.

Introduction à la Genèse de l’Histoire (1945)

Résumé Ces pages dactylographiés ont été conçues par l’historien comme l’introduction d’un livre à écrire. Souvent ainsi, il traçait une ébauche qui tenait lieu ensuite d’introduction. Ici, il indique l’état d’une vaste enquête historiographique tout en récusant à la fois le tropisme historiographique et l’histoire des idées. Son attention au caractère concret des tâches des historiens, en leur temps, ouvre ici une perspective proprement épistémologique. Au passage il se démarque de la notion d’« outillage mental » tel qu’il l’avait employée ailleurs dans les mêmes années.

Histoire concrète de l’abstraction et histoire des mathématiques

Résumé Cet article propose de revenir sur le programme d’histoire concrète de l’abstraction proposé par Jean-Claude Perrot dans les années 1990, pour montrer quels en sont les apports pour l’histoire des mathématiques. En mettant l’accent sur les dynamiques sociales, culturelles et matérielles dans lesquelles s’élaborent les connaissances, ce programme fournit en effet des outils pour analyser non seulement les modalités de circulation des mathématiques, mais surtout les effets concrets des pratiques symboliques, souvent laissées de côtés dans les travaux historiens sur les sciences. Plus encore, le programme d’histoire concrète de l’abstraction constitue en objet d’histoire le processus qui permet aux traces matérielles des activités savantes passées et aux modalités de raisonnements qu’elles véhiculent de parvenir jusqu’à nous tout en transcendant leurs conditions initiales de production. Il offre ainsi un cadre analytique pour étudier le rapport des mathématiques au temps historique.

Pour une histoire intellectuelle des organisations internationales : éléments de biographie collective

Résumé Cet article propose d’étudier les organisations internationales à travers le prisme de l’histoire intellectuelle, afin de saisir leur contribution à la transformation des savoirs économiques et sociaux. Le Bureau international du travail entre les années 1920 et 1939 est pris ici comme objet d’investigation. Après avoir montré que cet organisme international pouvait être considéré comme relevant d’un laboratoire de recherche scientifique, l’article décrit la diversité des trajectoires intellectuelles de l’ensemble des fonctionnaires de l’organisation et de la section statistique en particulier, et interroge la nature de leurs savoirs économiques. Il réduit ensuite la focale pour comparer deux articles rédigés par des économistes du bureau autour de la mesure du risque social, et montre l’existence manifeste de deux styles cognitifs distincts.