RésuméAu contraire de ce que suggère l'historiographie traditionnelle, le contrat de travail au sens moderne du terme n'est pas apparu ipso facto, en quelque sorte par génération spontanée, lors de la Révolution industrielle. En fait, des formes prémodernes datant de l'époque féodale ont subsisté durant tout le dix-neuvième siècle et même au-delà, laissant certaines catégories de travailleurs entièrement à la merci des employeurs. Autrement dit, les voies de la rationalisation juridique qui conduisent au contrat moderne de travail se révèlent hautement complexes. C'est ce que met bien en relief, en contexte allemand, l'ouvrage mȯnumental de Philippe Lotmar sur le contrat de travail [Der Arbeitsvertrag], paru en deux tomes, en 1902 et 1908: d'un point de vue «droit et société», ce traité vaut sans aucun doute toujours la peine d'être lu, notamment pour sa recherche exemplaire des «faits sociaux du droit». Cela est d'autant le cas si l'on prend en considération la longue recension de l'étude de Lotmar réalisée par Max Weber en 1902, ainsi que les commentaires sur l'œuvre de Lotmar publiés ultérieurement par Hugo Sinzheimer, le fondateur de la science européenne du droit du travail, lui-même un sociologue du droit réputé. Dans ce qui suit, l'auteur insiste sur l'intérêt que présenters les vues critiques de Weber et Sinzheimer sur Lotmar, en particulier du point de vue des rapports entre droit et économie, de l'intérêt qu'offre le pluralisme juridique pour l'analyse du droit du travail, enfin de l'interaction entre la dogmatique juridique et la sociologie du droit.