Gouverner par des « coups de pouce » (nudges) : instrumentaliser nos biais cognitifs au lieu de légiférer ?
En visant la partie inconsciente et émotionnelle de notre esprit, les sciences affectives et comportementales ont démontré la possibilité d’orienter nos actions sans recourir à la contrainte. Dans ces conditions, la tentation était vive de chercher à exploiter les résultats de telles recherches pour gouverner nos conduites au lieu de légiférer. Par d’habiles « coups de pouce » (nudges), l’État devient ainsi l’architecte de nos choix (choice architect), chargé de créer un environnement incitant, à notre insu, à obéir comme il le souhaite. En d’autres termes, donner un « coup de pouce » revient à créer un environnement comportemental incitateur (choice architecture) offrant un contexte propice à l’adoption d’un comportement déterminé sans contrainte apparente. Un tel mécanisme présente l’indéniable intérêt de contribuer à mettre en oeuvre les lois et les politiques publiques de manière plus souple. L’incitation doit en effet être préférée à la coercition si la première se révèle suffisamment efficace. Pourtant, la création d’environnements comportementaux incitateurs est un moyen possiblement très intrusif, susceptible de court-circuiter notre libre arbitre. Il reviendra donc aux autorités de ne retenir que ceux d’entre eux dont la nature n’est pas manipulatoire. Fondés sur une base légale, visant un intérêt public, proportionnés, conformes à la bonne foi, transparents et non discriminatoires, ces environnements ont en revanche toute leur place dans la panoplie d’un État de droit.