À la fois compositeur et chercheur, Manoury s’est très tôt intéressé à l’interaction en temps réel entre les instruments acoustiques et les nouvelles technologies liées à l’informatique musicale, telle que développée à l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) à partir des années 1980. Après Répons (première version en 1981) de Pierre Boulez, le besoin se fait en effet sentir de casser la rigidité de l’outil électronique et d’explorer au-delà du dialogue conventionnel instrument/ordinateur, afin d’élaborer, enfin, une symbiose réciproquement profitable, malléable en concert, et constamment renouvelable, à la manière d’une interprétation concertante. Après l’instrument, le compositeur devait très rapidement se pencher sur la problématique soulevée par la voix. À partir de 1993, Manoury travaillera ainsi à la capture, puis au traitement numérique de la voix en temps réel, d’abord par une analyse des composantes acoustiques du son, puis une manipulation de ces composantes. Le cycle de mélodies En écho (1993-1994) pour soprano et électronique représentera le premier stade de cette réflexion, toujours dans le cadre de recherches expérimentales.
Si le chercheur Manoury recherche l’innovation, le compositeur Manoury, quant à lui, se tourne aussi volontiers vers les institutions et les genres musicaux traditionnels, dont l’opéra et la musique chorale. L’écriture vocale de Manoury, que l’on peut qualifier de simple et naturelle, témoigne d’une grande flexibilité et est le fruit d’une réflexion qui prend en compte les limites du langage post-sériel, et dont témoignent ses différents opéras. Or, ce retour au genre-roi ne saurait se priver de l’innovation électronique nouvellement créée ; 60e Parallèle (1995-1996), K… (2000), La Frontière (2003) et La Nuit de Gutenberg (2011) intègrent une partie électronique, profitant, pour chaque opus, des avancées de la technique au service de la voix et de l’art lyrique. L’objet de ce texte est de proposer une approche globale des différents projets lyriques de Manoury, afin de mettre notamment en lumière le rôle de plus en plus prononcé de la transformation électronique sur le plan dramatique, et d’étudier également le réel travail de réciprocité entre l’instrumental et l’électronique.