Entre 1950 et 1970, l’espionnage connaît dans toute l’Europe un succès
considérable. Des films, séries télévisées, collections de romans, de bandes dessinées ou de
romans-photos sont diffusés par centaines et circulent très largement entre les pays,
participant de la sorte à la redéfinition d’une identité culturelle européenne et à son
homogénéisation à travers des traductions, des coproductions et des accords entre éditeurs.
Marqués par une forte sérialisation des discours, ces récits contribuent à redéfinir les
imaginaires européens après les bouleversements qu’ils ont connus avec la Seconde Guerre
mondiale. Marginalisée sur la scène internationale, affaiblie dans ses anciens territoires
coloniaux, traumatisée par les conflits passés entre les nations, l’Europe se réinvente dans
ces oeuvres, en mettant en scène des logiques de collaboration inter-États et en
redéfinissant ses représentations géopolitiques. Elle négocie ainsi entre une reconnaissance
de son déclin et une affirmation de son rôle selon de nouvelles modalités. Mais c’est aussi
dans le domaine des moeurs, de la sexualité ou de la consommation que le récit d’espionnage
rend compte des tensions qui traversent les sociétés en mutations des Trente Glorieuses,
dans un discours qui oscille entre fascination et répression. En ce sens, alors même qu’il
s’agit de productions bas de gamme destinées au divertissement, et peut-être pour cela même,
les récits d’espionnage démontrent la faculté des productions sérielles à rendre compte des
mutations des imaginaires face aux transformations d’une époque.