La qualité matricielle de l'eau pour la psyché est un lieu commun qui ne présente d'intérêt que si la généralité cède devant l'examen de réalisations singulières. Avec une simple scène d'enfants, Jean Giono révèle, dans « Jeux ou la naumachie », que le lit d'eau vive fait celui de la fiction. Du contact avec l'eau naissent en même temps la créature et le créateur. Fontaine, ruisseau, fleuve, mer... les diverses eaux de son œuvre sont corrélées à des êtres ou à des métamorphoses, leur présence amorce un cours d'événements, l'élément donne lieu à l'écoulement ou à la dérive : la narration même. Il importe de rechercher les traits distinctifs de ces eaux, non par souci d'inventaire, mais pour dégager certaines propriétés fondamentales. Si la plus significative est bien celle de la poïèse, propriété génétique, la plus éclatante est la qualité magique de l'eau de mer... La dimension tellurique de l'œuvre a été largement explorée. L'eau a beau y être moins « décrite » que l'air et la lumière, autres éléments vitaux majeurs dont le conteur s'emploie à restituer le fascinant pouvoir d'animation, ses aspects (multiples) et ses fonctions (cruciales) méritent que l'on s'y penche. Pour connaître les prestiges des eaux, il faut d'abord rencontrer les initiés: Pétrus, le fontainier de « L'Eau vive », Antonio, l'homme-fleuve du Chant du monde, l'aiguadier de Noé... autant de « caractères » de la vie aquatique dont l'écrivain marque la valeur et les pouvoirs. Il faut en outre s'intéresser aux correspondances favorites du poète-romancier : l'eau, relativement peu comparée (en huile, en métal ou en écailles) sert en revanche fréquemment de comparant, vivifiant nombre d'éléments naturels, tant il est vrai que, chez Giono, la crue de la fiction tend à faire acquérir à toute représentation la dimension du grand large.DOI: http://dx.doi.org/10.4995/XXVColloqueAFUE.2016.3039