Dans Les enfants de Manhattan de Marie-Jeanne Méoule (Québec, L’instant même, 2006) et L’arrière-saison (Paris, Éditions Julliard, 2002) de Philippe Besson, la narration se développe à partir de Nighthawks (1942) et Western Motel (1957) d’Edward Hopper. Dans le roman de Besson, une femme en robe rouge, dramaturge, attend son amant dans le diner de Nighthawks, le café-tableau devenant le plateau d’un théâtre dans l’atmosphère de l’Amérique profonde, puritaine et conservatrice des années 1920. Méoule met en scène le peintre Hopper lui-même dans « Eddy », à travers l’Indien Mohawk, ancien ouvrier sur les chantiers des gratte-ciel devenu laveur de carreaux à la suite d’un accident. Assis au Phillies en compagnie de son amie en robe rouge, il fait face à un homme en costume et chapeau mou accompagné d’une femme rousse vêtue de rouge, dans une réduplication de Nighthawks. Dans « Georgia », de Méoule également, l’héroïne est Georgia O’Keefe, amie des Hopper. En plein désert du Nouveau-Mexique, elle voit surgir du paysage une vieille Amérindienne. L’analyse des fictions de deux auteurs non états-uniens mettra en évidence les différences de leurs réinterprétations narratives des tableaux de Hopper. Confirmant la portée sociocritique de Nighthawks transmettant à contre-courant une vision pessimiste de l’Amérique des années 1940, la vision hoppérienne est rendue dans sa déliquescence par Besson. Une critique implicite souligne le malaise existentiel de l’Amérique représenté à travers les valeurs négatives imprégnant les tableaux de Hopper, telles l’aliénation et la solitude. La même peinture vue du Québec par Méoule suscite une réflexion sur la vie des hommes dans le Nouveau Monde et donne lieu à une résurgence subversive de l’indianité en Amérique du Nord.