Dire l'indicible. Remarques sur la catégorie du nefandum du XIIe au XVe siècle
En septembre 1307, dans l'ordre d'arrestation des templiers, les officiers du roi de France, malgré la redondance extrême de leur discours, n'arrivent pas à dire l'horreur d'un crime que bientôt pourtant les accusés, eux, finissent par dire, mais sous la torture et dans le secret :Une chose amère, une chose déplorable, une chose assurément horrible à penser, terrible à entendre, un crime détestable, un forfait exécrable, un acte abominable, une infamie affreuse, une chose tout à fait inhumaine, bien plus, étrangère à toute humanité, a, grâce au rapport de plusieurs personnes dignes de foi, retenti à nos oreilles, non sans nous frapper d'une grande stupeur et nous faire frémir d'une violente horreur.C'est que la faute des moines-chevaliers est à proprement parler indicible, nefandissima. Si l'on cherche à préciser le statut de la parole de l'accusé en cette fin du Moyen Age, il n'est donc pas sans intérêt de s'interroger sur cette catégorie étrange du nefandum, et d'explorer une situation limite, paradoxale : celle précisément où l'accusé dit ce qui est impossible à dire.