scholarly journals La mesure du ciel : la correspondance de Chapelain et Huygens

2009 ◽  
Vol 45 (2) ◽  
pp. 83-97
Author(s):  
Frédérique Aït-Touati

Résumé Au xviie siècle, les débats cosmologiques ont donné lieu à une vaste production textuelle dont l’un des enjeux est la crédibilité. Comment convaincre de ce que l’on ne peut voir ou atteindre, et comment prendre la mesure de l’incommensurable ? C’est avec les outils du monde que les astronomes tentent de convaincre leurs contemporains de la validité de leur conception du monde. En ce sens, les textes cosmologiques sont le laboratoire de nouvelles stratégies de construction de la crédibilité et d’expérimentation des outils disponibles. C’est dans cette perspective qu’est abordée dans cet article la correspondance entre Christiaan Huygens, mathématicien et astronome, et le poète Jean Chapelain, l’un des principaux théoriciens du vraisemblable en poétique. On se propose ici de suivre les stratégies — sociales, mondaines, rhétoriques, diplomatiques ou génériques — déployées par Christiaan Huygens au cours de la « querelle de l’anneau » de 1658 qui préluda à la publication l’année suivante du Systema Saturnium, et durant laquelle Chapelain joua un rôle actif au côté du jeune astronome. L’étrangeté de l’anneau de Saturne, tel que Huygens en conçoit le modèle, entraîne un usage de la notion de vraisemblable qui tend à sa profonde redéfinition. Outre le vraisemblable aristotélicien, doxique, que l’on peut reconnaître dans les premiers moments de la querelle, l’étude de la correspondance montre que la notion joue chez Chapelain un rôle véritablement heuristique lorsque, en réponse à ceux qui objectaient à Huygens que l’existence d’un tel anneau serait contraire à la gravité, il propose de le voir comme composé d’une « multitude de lunes », hypothèse qui anticipe des observations astronomiques bien ultérieures, et qui apparaît motivée, chez lui, par l’exigence de la vraisemblance comme ordre et congruence maximale des phénomènes. Ainsi l’astronome et le poète se retrouvent-ils sur un même terrain d’entente entre esthétique et épistémologie, entre vraisemblable et probable : le postulat commun d’une harmonie du monde aboutit à la mise en oeuvre, dans l’imitation fictive et dans la redescription du cosmos par l’hypothèse, d’une même poïétique consistant à créer des « machines vraisemblables ».

2002 ◽  
Vol 57 (6) ◽  
pp. 1521-1557 ◽  
Author(s):  
Alain Cottereau

RésuméL’émancipation ouvrière, à la suite de la Révolution française, loin d’être une formule creuse, a donné lieu à des exigences efficaces de bon droit et s’est traduite en pratiques jurisprudentielles locales. L’article décrit un double phénomène: la mise en œuvre de cette émancipation, puis sa dénégation soudaine durant les années 1880-1890, un « coup de force dogmatique » tenant pour nulles et non avenues neuf décennies de droit des ouvriers, pour lui substituer le « droit du travail ». Au lieu du principe de bilatéralité des volontés libres, s’instaura un principe de protection en contrepartie d’une subordination industrielle impérative.


2016 ◽  
Author(s):  
Nicoletta Diasio
Keyword(s):  

Dès 1941 Ernesto De Martino appelait à un historicisme radical qui arrache les populations étudiées par les ethnologues à une condition de réification qui en faisait « une humanité fortuite, un monstrueux commérage de l’histoire humaine, dont l’étrangeté minutieusement chiffrée n’arrivait pas à en corriger la futilité » (1961 :19). Son approche dénonçait la contradiction latente d’une science qui se définit « humaine » dans son objet, mais aux méthodes prétendument naturalistes et cautionnant souvent des enjeux de pouvoir. C'est au contraire par la reconnaissance d'une commune historicité que les populations, et les savoirs qu'ils produisent, peuvent se penser ensemble, les unes par rapport aux autres (Gadamer 1963). Le dialogue entre historiens et anthropologues a permis d’ouvrir la comparaison aux différentes manières dont les sociétés humaines ont procédé pour inventer et reformuler la tradition, fabriquer des modèles du passé, figurer le changement et se penser dans le présent (Detienne 2000). Toutefois, comme le critiquait déjà Stocking en 1965, l’histoire de l’anthropologie a souvent eu du mal à penser le passé comme autre chose que le présent et à reconnaître aux populations ‘autres’ leur historicité. Une reconnaissance pleine des anthropologies périphériques passe alors par l'étude des généalogies plurielles de ces savoirs élaborés par ceux qui ont longtemps été envisagés comme des objets de connaissance ethnologique. Cette analyse est d'autant plus nécessaire qu'une des manières de nier à ces « autres » la légitimité à produire du savoir, a été celle de les encapsuler dans un éternel présent et de leur nier le labeur de l'histoire et les dynamiques de transformation. Dans la constitution des anthropologies hégémoniques, la mise à distance spatiale et temporelle a joué un rôle fondamental dans la construction de l'altérité. Mais si la spatialisation de la différence a fait l'objet de critiques sévères, l'attribution aux populations étudiées d'un temps différent n'a été remise en question que plus tardivement. Cette « allochronie » (Fabian 1983) relève de différents procédés : un rejet des autres peuples en-dehors de notre temps, un déni de la co-temporalité unissant l'anthropologue et son interlocuteur, qui biffe la dimension intersubjective du terrain, la primauté de l'observation visuelle et de la représentation qui fige l'expérience ethnologique dans un fictif ici-et-maintenant. La soustraction de la durée agit aussi bien dans la construction des objets d'étude, que dans le silence qui entoure la production anthropologiques des peuples ethnologisés. Une anthropologie non hégémonique devrait pallier à ce défaut d'historicité par une archéologie des savoirs produits par ceux qui ont fait l'objet même d'une altérisation. Comment la réflexion sur l'altérité a-t-elle été produite ailleurs que dans les anthropologies dites hégémoniques? Qu'est-ce que ce déni de l'histoire a entraîné dans la production anthropologique de ceux qui en ont été les premiers objets ? Il s'agit d'analyser « comment se sont formées, au travers, en dépit ou avec l'appui des systèmes de contrainte, des séries de discours; quelle a été la norme spécifique de chacune, et quelles ont été leurs conditions d'apparition, de croissance, de variation » (Foucault, 1971: 62-63). Une telle généalogie permettrait de reconstruire les procédures internes de production, de sélection, de classification, de légitimation, de validation des discours anthropologiques, et celles externes de mise en œuvre de ces savoirs, de leur circulation, ainsi que des modes d'appropriation, d'usage et de transmission. Ces deux types de procédures sont à analyser autant dans l'élaboration théorique, que dans l'épaisseur des pratiques: systèmes de l'édition, structures de formation, laboratoires de recherche, supports et circuits de diffusion de l'information. Ces histoires sont elles-mêmes segmentaires, plurielles, discontinues, traversées par des controverses et des tensions. Leur reconstruction permettrait de restituer la diversité interne de ces savoirs locaux, en montrant comment la place de l'anthropologie, son projet, ses cadres théoriques changent selon les histoires locales, les institutions, des rapports mobiles de pouvoir (Diasio 1999). Elles permettraient de montrer les jeux d'influence, de circulation et d'emprunt, qui souvent bousculent l'apparente hiérarchie entre savoirs hégémoniques et savoirs dits périphériques, comme le montre un numéro de la revue Deshima consacré au structuralisme néerlandais. Cela implique également de relever comment l'anthropologie se situe à la croisée de disciplines différentes et que leur configuration spécifique donne lieu à des modes spécifiques de construire et appréhender l'altérité ( → centre-périphérie). Ces savoirs, d'ailleurs, ne sont pas forcément appelés « anthropologie », mais peuvent relever de préoccupations et de méthodes qui ne sont pas moins « anthropologiques ». Comme l’affirme Bachelard, « toute connaissance, prise au moment de sa constitution est une connaissance polémique » (1950: 14). L'histoire des processus formatifs de l'anthropologie est enfin à explorer en lien avec les pratiques de recherche. Comment devient-on anthropologue? Et quels sont les sujets d'études, les méthodologies, les postures épistémologiques acceptées selon les contextes institutionnels et les systèmes disciplinaires ? Déconstruire les mécanismes de production des anthropologues et des anthropologies permet alors une opération de décentrement, qui ne peut que revitaliser la discipline. Enfin, si l’histoire et le temps prennent depuis 1989 une ampleur inédite, l’étude des anthropologies non-hégémoniques nous permettrait d’interroger plus largement les régimes d’historicité des sociétés en mutation et de questionner ce que Hartog a défini « le présentisme » : un temps désorienté entre un passé qui se dérobe et un futur incertain, ce qui amène à « l’expérience d’un présent perpétuel, insaisissable et quasiment immobile, cherchant malgré tout à produire par lui-même un temps historique » (2003 : 28). La mise en perspective des savoirs anthropologiques et de leurs généalogies, constitue une entrée pour penser la manière dont sont construits concomitamment altérité culturelle et rapports au temps (Lenclud 2010).


2005 ◽  
Vol 29 (2) ◽  
pp. 369-423
Author(s):  
Denis Lemieux

Les marchés publics confèrent aux différents paliers gouvernementaux une force de frappe qu'ils sont susceptibles d'utiliser pour atteindre des objectifs économiques et sociaux en plus d'obtenir des biens et services de qualité à un prix raisonnable. Ceci donne lieu à l'élaboration et à la mise en oeuvre de politiques d'achats. Ces politiques prennent rarement la forme de lois et de règlements mais sont adoptées le plus souvent par voie de directives, d'énoncés de politique et de pratiques administratives. Toutefois, ceci ne signifie pas qu'il n'existe pas de cadre juridique des politiques d'achats. Les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 relatives au commerce interprovincial et international, de même que les droits à l'égalité et à la mobilité enchâssés dans la Loi constitutionnelle de 1982, servent de cadre juridique minimal aux politiques d'achats. À ces normes s'ajoutent les obligations internationales du Canada à l'intérieur du cadre de l'Accord général du G A TT et, pour le Gouvernement fédéral, le Code des marchés publics adopté lors du Tokyo Round. La mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange canado-américain viendra apporter une nouvelle limite à l'autonomie des initiateurs de politiques d'achats publics.


2008 ◽  
Vol 21 (1) ◽  
pp. 3-23
Author(s):  
Charlie Jeffery

Résumé Les réformes qui ont donné lieu à la dévolution au Royaume-Uni depuis l’élection du Parti travailliste en 1997, sous la direction du premier ministre Tony Blair, ont permis une décentralisation radicale des pouvoirs au sein d’un pays aux traditions les plus centralistes d’Europe. Cet article propose un compte rendu des arguments (historiques et plus récents) ayant conduit au processus de dévolution et à la délégation des pouvoirs accordés aux institutions en Écosse, au Pays de Galles, en Irlande du Nord, à Londres et dans les régions anglaises. Ces pouvoirs sont asymétriques; ils ne sont pas les mêmes et sont d’envergure différente selon les lieux. La dernière partie du texte examine certaines des tensions découlant de la mise en oeuvre de ce système complexe et asymétrique de dévolution gouvernementale.


2018 ◽  
Vol 26 (2) ◽  
pp. 193-202 ◽  
Author(s):  
Marthe Lucas

Dernière phase du triptyque « éviter, réduire, compenser », les mesures compensatoires visent à répondre aux dommages environnementaux résiduels causés par un projet qui ont été mis à jour par l’étude d’impact. Objet de négociation, ces mesures sont aujourd’hui devenues un argument régulièrement invoqué par les opposants au projet qui saisissent le juge administratif à des fins d’annulation de celui-ci. Le présent article apporte un éclairage sur le contentieux français auquel a donné lieu la compensation écologique au cours des quarante dernières années. Alors qu’aucune définition juridique de cette notion n’existait avant 2016, il est à regretter que le juge administratif ne l’ait pas clarifiée en formulant un ou des arrêts de principe. Le juge sort depuis peu de sa réserve sous l’impulsion des requérants, mais également de l’évolution des textes qui l’invitent à affermir son contrôle sur les éléments factuels de la mise en œuvre des mesures compensatoires. Ce mouvement jurisprudentiel pourrait renforcer la dimension préventive de ces mesures, car jusqu’ici l’annulation d’un projet dont les effets environnementaux seraient excessifs se justifie rarement au regard de la seule insuffisance de la compensation écologique.


2002 ◽  
Vol 57 (2) ◽  
pp. 135-143 ◽  
Author(s):  
M. Keiner ◽  
N. Mettan ◽  
B. Schultz

Abstract. La pratique actuelle de l'orientation de la planification implique un retoilettage complet de celle-ci à chaque décennie. Le degré d'efficacité de la planification directrice ne peut être évalué qu'approximativement avant l'évolution suivante, dans la mesure où celle-ci n'est entreprise que très peu de temps avant la révision générale. Dans beaucoup de cas un aperçu des développements ou effets, souhaités ou non, des mesures envisagées pour la réalisation des objectifs du plan, fait défaut. C'est pourquoi il n'est pas possible d'introduire des corrections dans l'évolution du développement spatial. Une évolution fondée sur le principe du développement durable requiert toutefois de telles possibilités d'intervention. II importe de mettre au point des démarches susceptibles de constater en temps utile les éventuelles déviations et de rectifier le cours de la planification. II existe des instruments qui permettent de surveiller et d'orienter la mise en œuvre des objectifs et mesures des plans cantonaux. Ils peuvent aussi contribuer à l'évaluation du degré de réalisation des objectifs définis par la planification. II est ainsi possible de déceler en temps opportun les développements non durables et de procéder aux correctifs nécessaires. Ces instruments s'appellent monitoring, controlling et benchmarking; ils sont sous-tendus par des indicateurs. L'instrument central de ce système, le controlling, est présénte dans notre étude; son degré d'efficacité dans la planification cantonale directrice donne lieu à une analyse critique. Le recours au monitoring, au controlling et au benchmarking est indispensable pour un développement durable et une planification volontariste dynamique.


2012 ◽  
pp. 19-37 ◽  
Author(s):  
Frédérique Giuliani ◽  
Denis Laforgue

Le droit des usagers à disposer d’une possibilité de choix quant aux services publics auxquels ils ont recours est aujourd’hui un principe transversal aux politiques publiques dont l’objet est la personne humaine (social, éducation, santé). L’article propose d’étudier la prégnance exacte de cette philosophie politique du choix et les « formes pratiques » auxquelles elle donne lieu, dans différents domaines d’intervention de l’État : le champ de l’éducation familiale et de la protection de l’enfance ; l’insertion sociale et professionnelle des jeunes sans emploi ; la politique d’aide en faveur de la vieillesse dépendante ; les politiques de choix d’établissement scolaire par les familles. L’analyse procède en trois étapes. D’abord, l’étude des textes et discours officiels distingue deux formes typiques : le « choix-liberté » et le « choix-responsabilité ». Ensuite est étudiée la mise en oeuvre de cette double conception dans différents contextes institutionnels. Enfin, on établit la portée réelle de cette idéologie pour les usagers à partir de la notion de « choix-autonomie ».


2016 ◽  
pp. 137-155
Author(s):  
Carole Yerochewski ◽  
Hans Marotte
Keyword(s):  

En dégradant l’« emploi convenable » que devaient accepter les prestataires « fréquents », la réforme de l’assurance-chômage intervenue en 2012-2013 a suscité de vives réactions, notamment parce qu’elle mettait fin au caractère redistributif de l’assurance-chômage envers les régions marquées par des activités saisonnières. La réforme parallèle des procédures de contestation et d’appel des décisions d’admissibilité, qui a donné lieu à la création du Tribunal de la sécurité sociale, a été moins commentée. Elle a pourtant abouti à une informalisation des possibilités de recours au droit social. Si une telle réforme s’inscrit dans le caractère autoritaire de l’action du gouvernement Harper, au pouvoir jusqu’en 2015, le propos de cet article consiste cependant à souligner la compatibilité de ces réformes avec le nouveau paradigme guidant, dans les pays industrialisés, les réformes de l’État-providence et remettant en cause la notion de droit social (Siegel, 2004). Le processus d’informalisation du droit social apparait dans ce contexte résulter tant de la mise en oeuvre de procédures arbitraires que de l’invisibilisation de ce processus, faute d’être défini comme un problème public.


Author(s):  
Martin St-Amant

En 1990, l'action juridique du canada en matière de commerce international se sera principalement manifestée au GATT, comme le démontre les conflits relativement nombreux dans lesquels le Canada fut impliqué ainsi que l'activité qu'il aura dépolyé cette année là. L'action juridique du Canada se sera en outre révélée en cette année, par l'entremise d'actes unilatéraux et d'accords commerciaux conclus avec d'autres États. La mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis constitue un dernier aspect qui aura préoccupé, par la force des choses, le Canada en cette année 1990.


Sign in / Sign up

Export Citation Format

Share Document