Résumé
Au cours de la période de douze ans durant laquelle il a publié ses nouvelles et ses romans (1937-1949), Jean-Paul Sartre a aussi fait paraître une série de critiques littéraires et de manifestes pour l’engagement de la littérature. Dans ces critiques et ces manifestes, l’auteur des Situations accorde une place centrale au genre romanesque : cette partie de son oeuvre a été un espace où, en prenant position par rapport aux autres écrivains, Sartre a implicitement défini sa conception du genre romanesque, ainsi que les ambitions littéraires, philosophiques et politiques qu’il poursuivait par l’entremise de ses propres fictions narratives. L’ensemble des oeuvres auxquelles Sartre s’intéresse dans ses essais sur la littérature se caractérise par une stricte bipartition. D’un côté, des prédécesseurs et des contemporains français tels que Jean Giraudoux, François Mauriac, Paul Nizan, Albert Camus et Maurice Blanchot sont plus ou moins durement éreintés selon les cas. En contrepartie, des oeuvres écrites par ceux que Sartre appelle indifféremment « les Américains », c’est-à-dire, pour l’essentiel, William Faulkner, John Dos Passos, Ernest Hemingway, John Steinbeck et Richard Wright, suscitent de l’enthousiasme, reçoivent des éloges et sont considérés comme des modèles dont l’écrivain français devrait idéalement parvenir à s’inspirer. Dans cet article, l’auteur dégage la signification de cette bipartition entre oeuvres américaines et françaises et circonscrit la fonction qu’elle remplit dans le système de la critique littéraire sartrienne.