L’usage de la très longue durée dans le « raisonnement ethnographique ». Analyses comparées d’enquêtes en immersion chez les danseurs et les pompiers
L’enquête ethnographique implique une connaissance intime, incarnée, voire charnelle, du milieu enquêté et des acteurs sociaux. Elle exige aussi du chercheur un travail sur soi permettant d’approcher au plus près les réalités sociales, psychologiques, économiques de l’autre-enquêté, devenu au fil du temps quelqu’un de proche, parfois un ami. Mais on s’est peu focalisé sur les apports spécifiques du temps long en ethnographie : si l’aspect immersif de l’enquête a fait l’objet de nombreux débats (identification objectivation, réflexivité…), l’effet du temps long voire très long a été moins analysé. À partir de deux enquêtes de très longue durée sur le monde de la danse et des pompiers, nous proposons de montrer en quoi cette temporalité atypique du travail en sciences sociales permet d’abord de désingulariser l’individu enquêté resitué petit à petit dans un groupe, une histoire, une tradition, une famille…, contribue ensuite à établir une confiance telle que certains sujets finissent par être abordés alors qu’ils ont été soigneusement euphémisés ou mis de côté pendant des mois voire des années et enfin de dépasser la sorte de cliché instantané auquel nos enquêtes plus rapides, plus distantes, nous habituent parfois.