Texte du répertoire, oeuvre classique, chef-d’oeuvre ou repère culturel. La
terminologie utilisée pour parler de l’oeuvre-phare de Michel Tremblay, Les
Belles-Soeurs, n’a cessé de s’élargir. Elle témoignerait de la pluralité de ses
significations et des usages multiples dont l’oeuvre a été l’objet dans les champs
esthétique (théâtral), social et culturel. Cette réalité plaide en faveur d’un modèle
d’interprétation qui ne soit pas limité à celui que pratique habituellement l’historien du
théâtre. Car au-delà de l’oeuvre littéraire et dramatique, Les Belles-Soeurs
représente un objet dense et complexe qui commande en effet une enquête capable de prendre
en compte le phénomène dans sa globalité. À la fois texte de théâtre, événement scénique,
culturel et politique, fait social et fait de langage, la pièce de Tremblay, considérée sous
l’angle des échos qu’elle produit dans la trame des événements et des discours qui façonnent
la société québécoise, correspond parfaitement à la définition du « lieu de mémoire »
développée par Pierre Nora. Cet article jette les bases d’une enquête envisagée dans la
suite des travaux devant conduire à une édition critique des Belles-Soeurs. La
théorie des « lieux de mémoire » y est discutée à la lumière des enjeux spécifiques au
contexte québécois dans le but de saisir la pièce de Tremblay au croisement de plusieurs
domaines discursifs et de régimes de temporalité.