scholarly journals Numéro 164 - Juin 2021

Author(s):  
Isabelle Hansez ◽  
Laurent Taskin ◽  
Jacques-François Thisse

Dans ce numéro spécial de Regards économiques, trois expertises dialoguent afin d’offrir une compréhension multidisciplinaire du «télétravail» aujourd’hui et demain : D’un point de vue économique, la question clé demeure celle de l’incidence d’une pratique intensive de télétravail à domicile sur la mobilité, les villes et l’économie dans son ensemble. Le gain espéré de productivité au travail sous-tend le développement du télétravail. Souvent déclaré, mais rarement mesuré de façon précise, des rares études montrent néanmoins une relation de cause à effet entre la pratique du travail à domicile et un surcroît de productivité au travail. Mais, qu’en sera-t-il demain sur le long terme ? Et quel impact une pratique plus forte du télétravail peut-elle avoir sur la demande et l’offre immobilières dans les villes et sur les marchés locaux du travail ? Ce sont quelques-unes des analyses développées par Jacques-François Thisse, professeur émérite d’économie à l’UCLouvain. Du point de vue des organisations et du management, la pratique du télétravail a conduit à revisiter les processus de régulation du rapport au travail (tels que le contrôle et l’autonomie au travail, les styles de management, l’identité au travail, la productivité et l’équilibre entre sphères privée et professionnelle). Autre enjeu pour les entreprises ? La gestion de la distance sur les comportements au travail (notamment l’hyper connexion ou l’invisibilisation). Selon Laurent Taskin, professeur en sciences de gestion à l’UCLouvain, le futur verra s’intensifier le télétravail. L’enjeu organisationnel et managérial clé de l’après-covid sera donc de réinventer de nouvelles routines de travail autour de la présence, là où c’était la distance qui était régulée avant la crise covid. C’est cette réflexion qui permettra de préserver et valoriser l’innovation, la créativité et la socialisation. Du point de vue des individus, les recherches sur le télétravail ont identifié de longue date des effets plutôt positifs en termes de satisfaction, de motivation, de bien-être ou de fidélisation, justifiant une demande, de la part des travailleurs, pour ce type d’arrangement. Se basant sur une enquête menée durant le premier confinement en Belgique, Isabelle Hansez, professeure de psychologie à l’ULiège, offre une perspective nuancée des conditions de la pratique du télétravail durant le confinement et des perspectives affichées par les personnes sondées. Plus que jamais, semble-t-il, la dimension du bien-être au travail semble clé dans la valorisation du télétravail par les individus et montre aussi les disparités de situations (familiale, professionnelle) qui amènent à apprécier différemment la flexibilité offerte par le télétravail.   Ces trois regards se complètent et permettent, in fine, d’identifier les équilibres et les tensions qui caractérisent le développement du télétravail. Et donner des pistes qui pourront satisfaire à la fois les travailleurs, les managers, les entreprises et les acteurs qui vivent de la présence des travailleurs sur leur lieu de travail (commerces, services, entretien…) ? Voici les principaux enseignements et recommandations des trois scientifiques : L’accroissement de productivité dû à la pratique du télétravail est lié à sa fréquence : au-delà de deux jours par semaine ou de 50% du temps de travail, l’impact sur la productivité s’atténue ; Le développement du télétravail peut potentiellement modifier la consommation d’espace de bureau (décroissance) et domestique (croissance), dans un mouvement qui risque de dévitaliser les centres urbains et d’affaires ; La pratique plus intensive du télétravail menace l’existence de communautés de travail au sein des organisations, au profit de liens plus formels et instrumentaux avec l’organisation et les collectifs de travail ; Pour les travailleurs, la pratique du télétravail est source de satisfactions (autonomie, flexibilité, par exemple) mais aussi d’inconfort (ergonomie, conflit privé-professionnel, ambiguïté des attentes, par exemple) ; Les politiques publiques doivent d’urgence proposer des solutions de mobilité afin de faciliter l’accès aux centres urbains, pour les travailleurs, et juguler une potentielle désertion de ceux-ci par les quartiers d’affaire—la mobilité étant le premier facteur de choix pour le télétravail ; Les employeurs doivent formaliser la possibilité de télétravail dans des accords collectifs négociés et permettre à leurs salariés d’être dans de bonnes conditions de travail à domicile, a fortiori si le télétravail fait l’objet d’une politique organisationnelle ou de gestion des ressources humaines ; Le management doit réguler la présence des équipes de travail en tenant compte de leurs réalités propres (activités, par exemple) afin de préserver les liens sociaux, garants d’une performance de long terme ; Les travailleurs sont invités à organiser leurs temps et leurs espaces privé et professionnel de sorte à permettre une conciliation harmonieuse.

2009 ◽  
Vol 4 (1) ◽  
pp. 45-61 ◽  
Author(s):  
Marie-Josée Legault ◽  
Stéphanie Chasserio

Sommaire Il y a peu de femmes chez les professionnels qualifiés des services technologiques aux entreprises, métiers de l’informatique, en Europe comme en Amérique. Le mode d’organisation du travail qu’on y pratique est celui de la gestion par projets, qui a de multiples conséquences en termes de conditions de travail : l’importance des longues heures et la résistance à la réduction du temps de travail, les heures supplémentaires non payées, la très grande flexibilité exigée des employés, les aménagements d’heure ou de lieu de travail sujets à négociation avec le chef de projet, selon des critères arbitraires. Les femmes sont celles que défavorise un tel système, car on observe un lien entre la flexibilité à cet égard et le fait d’avoir la responsabilité principale des enfants.


2014 ◽  
Vol 29 (S3) ◽  
pp. 643-643
Author(s):  
P. Louville

Depuis plusieurs années, une attention grandissante est portée sur des gestes suicidaires qui semblent augmenter en fréquence, commis pendant le temps de travail et sur le lieu de travail, maintenant reconnus comme des accidents du travail, imputables aux contraintes professionnelles stressantes auxquelles sont soumis les salariés.Le suicide d’un collègue de travail est un événement particulièrement stressant et potentiellement traumatogène, notamment si les personnels sont les témoins directs du geste suicidaire sur le lieu de travail. Les deuils à la suite du suicide font partie des événements de vie générateurs d’une grande détresse émotionnelle. Le caractère soudain et inattendu de la mort par suicide d’un proche peut avoir un impact traumatique pour de nombreuses personnes, qui risquent de développer ultérieurement un deuil compliqué, voire un syndrome psychotraumatique.Le caractère stressant et traumatique des situations de deuil à la suite d’un suicide au travail conduit à proposer aux endeuillés récents un débriefing psychologique (ou intervention psychothérapeutique post-immédiate – IPPI). Il existe cependant relativement peu de publications, et notamment d’études randomisées, sur l’utilisation du débriefing dans la postvention. En France, quelques articles rapportent des interventions de cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) utilisant l’IPPI à la suite de suicides.Les débriefings psychologiques décrits dans la littérature relative à la postvention sont conduits selon des modalités adaptées à cette situation spécifique. En plus des objectifs habituels de cette intervention, qui sont la ventilation émotionnelle, la verbalisation de l’événement, la psychoéducation et la mobilisation du soutien social, l’accent est mis sur la gestion du deuil et la prévention de la contagion suicidaire, en particulier en milieu professionnel.Au-delà des interventions destinées aux salariés endeuillés, la postvention en milieu de travail doit aussi envisager une approche des facteurs organisationnels qui peuvent avoir contribué au geste suicidaire, car celui-ci impacte autant les individus que le collectif de travail.


2005 ◽  
Vol 52 (1) ◽  
pp. 162-184 ◽  
Author(s):  
Roch Laflamme ◽  
Dany Carrier

Un contexte économique difficile, des besoins de ressources humaines de plus en plus flexibles et une offre accrue de main-d’œuvre ont contribué à l'émergence de nouvelles formes d'emploi à temps partiel ou temporaire, souvent comblées par des agences de location de main-d’œuvre temporaire. Cet article cherche à présenter les conséquences pratiques qu'entraîne une relation d'emploi tripartite, employeur/salarié/agence, sur les droits et les conditions de travail des employés des agences de location de main-d’œuvre temporaire.


2007 ◽  
Vol 62 (2) ◽  
pp. 258-281 ◽  
Author(s):  
Denis Chênevert ◽  
Ariane Charest ◽  
Gilles Simard

La recherche étudie l’impact des changements apportés dans trois systèmes de GRH sur la variation de l’engagement affectif des employés d’un établissement de santé au Québec entre 1999 et 2002. La problématique de la recherche se base sur la théorie du contrat psychologique de Rousseau (1995), selon laquelle les changements organisationnels modifient les paramètres de la relation d’emploi, lesquels permettent d’améliorer les conditions de travail et le contrat psychologique de l’employé. À l’aide de deux échantillons comparables de 80 répondants, les résultats révèlent que les employés sont plus autonomes et peuvent davantage participer aux processus décisionnels, que les procédures sont plus impartiales et que la perception de plafonnement de carrière est moins élevée dans l’échantillon de 2002 comparativement à celui de 1999. Ces améliorations dans la gestion des ressources humaines sont accompagnées d’une faible augmentation du niveau d’engagement affectif en 2002.


2008 ◽  
Vol 6 (2) ◽  
pp. 99-105
Author(s):  
Viviane Portebois

Résumé Dans un souci de mieux comprendre la réalité quotidienne que vivent les jeunes praticiennes du social au plan de la vie professionnelle, cet article de nature exploratoire fait le bilan d'entrevues réalisées auprès de jeunes chercheures et de jeunes cliniciennes ayant accumulé moins de dix années de pratique. La synthèse de ces entrevues met notamment en relief l'incidence de la précarité des conditions de travail sur les aspirations professionnelles, le rapport au travail et sur les rapports intergénérationnels en milieu de travail.


2005 ◽  
Vol 54 (2) ◽  
pp. 388-410 ◽  
Author(s):  
Isabelle Mimeault ◽  
Myriam Simard

Cet article traite des exclusions légales et sociales qui affectent la main-d’œuvre agricole saisonnière véhiculée quotidiennement au Québec, dont la grande majorité sont des immigrants résidant à Montréal. Une recherche sociale sur le terrain a révélé, sur certaines fermes, un haut roulement de main-d’œuvre et des conditions de travail en deçà du seuil légalement et humainement admissible : non-respect des personnes, du temps de travail, des normes de santé et sécurité, discrimination. À partir des résultats de cette étude, de recherches sur les modifications de l'agriculture québécoise au XXe siècle ainsi que de l'analyse de contenu de mémoires de l'Union des producteurs agricoles (UPA), les auteures mettent en lumière le rôle de l'UPA dans les exclusions légales successives des salariés agricoles et remettent en question son discours sur la pénurie de main-d’œuvre, contredite par la recherche.


2017 ◽  
Vol 44 (1-2) ◽  
pp. 103-121 ◽  
Author(s):  
Arnaud Scaillerez ◽  
Diane-Gabrielle Tremblay

La situation économique mondiale crée des inégalités territoriales et sociales. En parallèle, le numérique ne cesse de prendre de l’ampleur et peut contribuer à créer de l’emploi, à réduire les écarts sociaux et même territoriaux. Au Québec, de nombreux dispositifs destinés à développer le numérique dans tout le territoire ont été mis en place. Le but est de stimuler l’activité économique et de réduire le chômage. Certains secteurs territoriaux, majoritairement urbains, voire périurbains, tirent leur épingle du jeu. En revanche, les secteurs ruraux les plus éloignés ou les plus proches de grands pôles économiques qui aspirent toute l’activité se retrouvent exclus de cette dynamique. C’est afin de réduire ces écarts territoriaux que le gouvernement québécois a développé différents dispositifs favorisant le déploiement du numérique, y compris dans les zones rurales dévitalisées. Grâce à ce développement technologique, les façons de travailler se diversifient en réponse à la fois au contexte économique (qui incite à une plus grande productivité) et aux attentes des employés désireux de voir s’améliorer la conciliation entre leur travail et leur vie privée. Le travail à distance prend de plus en plus d’importance au Québec et il obtient déjà des résultats significatifs dans certaines régions rurales caractérisées par une perte démographique et une baisse d’attractivité économique. La recherche porte sur neuf municipalités régionales de comté (MRC) québécoises (Les Appalaches, Argenteuil, Arthabaska, Brome-Missisquoi, Charlevoix, Papineau, Les Sources, Témiscamingue et Vaudreuil-Soulanges). Nous avons interrogé des professionnels chargés de l’introduction du numérique ainsi que des professionnels des ressources humaines responsables de l’intégration du télétravail et des nouvelles technologies au sein de ces territoires. L’objet de notre étude est de présenter le dispositif mis en place par le Québec en matière de numérique et de télétravail afin d’en exposer les résultats obtenus au sein de la ruralité.


2019 ◽  
Vol 73 (4) ◽  
pp. 840-877 ◽  
Author(s):  
Olivier Brolis ◽  
François-Xavier Devetter

Cet article vise, en s’appuyant surL’Enquête Conditions de travail(2013), à construire une typologie des professions relevant d’un statut « ouvrier » ou « employé » à partir du niveau et du type de qualité de l’emploi qu’elles induisent. Cette approche de la qualité d’emploi par les professions apparaît importante pour trois raisons complémentaires : d’abord, parce que la nature de la profession s’avère déterminante au-delà des caractéristiques des individus qui l’occupent pour expliquer les écarts en termes de qualité de l’emploi; ensuite, du fait de l’importance de la nature des professions dans la détermination des règles encadrant le travail; et, enfin, en raison du rôle joué par les politiques publiques dans le soutien de la qualité dans certaines professions.Dans un premier temps, nous élaborons un faisceau de 15 indicateurs mesurant les différentes dimensions de la qualité d’emploi en combinant des variables relatives à la relation d’emploi (rémunération notamment), au niveau d’attractivité non matériel des tâches à effectuer (comme le degré d’autonomie ou nouer des rapports sociaux de qualité) ou, encore, les conditions de travail (notamment les contraintes liées au travail ou aux pénibilités vécues par les salariés comme les pénibilités physiques).Dans un second temps, nous menons, sur la base de ces 15 indicateurs, une classification ascendante hiérarchique qui fait apparaître huit classes de professions. Les lignes de fracture qui les opposent, permettent ensuite d’établir une hiérarchisation partielle des professions en termes de qualité de l’emploi.Enfin, nous précisons la composition de ces classes (professions concernées et caractéristiques sociodémographiques des individus) et soulignons une concentration de certains types de travailleurs au sein des professions de bonne ou de mauvaise qualité.


2002 ◽  
pp. 97-107 ◽  
Author(s):  
Rachel Silvera

Résumé Le contexte actuel de la réduction du temps de travail, par l'intermédiaire de la loi sur les 35 heures, nous incite à nous interroger sur les enjeux d'une telle mesure dans une perspective de genre. Jusqu'à la Loi Aubry II, les politiques du temps de travail se voulaient « neutres » du point de vue du genre, alors même que les choix opérés en vue « d'enrichir le contenu en emplois de la croissance » se sont traduits par de fortes discriminations à l'égard des femmes, via le temps partiel. La question de l'égalité apparaît plus explicitement dans la seconde loi adoptée en janvier 2000, mais cette intégration paraît surtout formelle. Cet article se propose de repérer les conséquences en termes de genre d'expériences menées en France, sur le plan des politiques publiques mais aussi au niveau des entreprises ayant procédé à des réductions et aménagements du temps de travail. Nos enquêtes révèlent, d'abord, que l'illusion des 35 heures comme moyen de mieux répartir les tâches dans et hors travail ne résiste pas à l'observation des réalités; en second lieu, le temps de travail renforce certaines discriminations entre les femmes elles-mêmes, selon leur situation familiale et professionnelle.


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