Bien qu’il existe de nombreuses études consacrées au thème de Sartre et l’art, la photographie reste encore aujourd’hui un sujet quasi inconnu, voire ignoré. Il est vrai que les mentions de la photographie sont plutôt rares et succinctes dans les textes philosophiques de Sartre. Nous pouvons constater le même phénomène dans les oeuvres romanesques. Pourquoi cette absence ? Qu’est-ce qui explique cette haine de la photo ? Pour répondre à ces questions, nous nous proposons d’analyser le rapport de Sartre à la photographie. Dans un premier temps, nous passons très brièvement en revue la théorie de l’image développée dans L’imagination et L’imaginaire. Dans un deuxième temps, nous examinons les rares scènes où apparaissent les photos dans ses romans. Dans La nausée, Antoine Roquentin a apparemment pris beaucoup de photos pendant ses voyages autour du monde. Mais il parle de ses photos de souvenirs comme des faux passés ou comme un vestige de son véritable vécu. Dans Les chemins de la liberté également, les photos ne jouent qu’un rôle anecdotique et négatif. C’est surtout dans Les mots que nous pouvons trouver les passages les plus significatifs sur la photographie. En se souvenant de son grand-père « photogénique », Sartre brosse le portrait caricatural d’un homme prisonnier de sa propre image charismatique. Et, en contrepartie, il souligne la découverte de sa laideur physique, en se référant à ses photos d’enfance. Ainsi, les photos sont presque toujours convoquées comme des métaphores négatives dans ses textes littéraires. Dans un troisième temps, nous analysons « D’une Chine à l’autre », la préface à l’album de Henri Cartier-Bresson, qui est l’unique texte que Sartre ait consacré à la photographie. Même si l’on ne trouve pas de théorie explicite sur la photo dans ce texte, nous pouvons repérer ce que Sartre apprécie dans certaines photos. Ainsi, à travers cette démarche, nous tâchons, d’une part, de mettre en lumière quelques aspects mal connus du Sartre esthéticien et, d’autre part, de faire une psychanalyse existentielle de Sartre homme à travers sa réticence par rapport à la photographie.