scholarly journals La sociologie de l'éducation dans l'œuvre de Léon Gérin

2005 ◽  
Vol 4 (3) ◽  
pp. 291-312 ◽  
Author(s):  
Guy Rocher

« Le sentiment de malaise qui, depuis quelque temps déjà, s'est manifesté en divers quartiers et sous diverses formes, s'est affirmé de nouveau dernièrement sur la question de l'instruction publique. On n'est pas satisfait de la position qu'occupent les Franco-canadiens dans le monde agricole, industriel et commercial, et l'on s'en prend de cet état de choses à nos écoles et au clergé qui les contrôle. » Ces paroles, nous aurions pu les lire récemment dans un de nos journaux du Québec. Elles sont pourtant de Léon Gérin et servaient d'introduction à une série d'articles sur l'éducation dans le quotidien montréalais La Minerve du 31 octobre 1892. Mais elles peuvent encore être placées en exergue au début de cette communication. Elles nous montrent en effet qu'à la fin du xix" siècle, le Canada français connaissait comme aujourd'hui une mise en question de sa position dans la Confédération. On s'inquiétait de la situation inférieure qu'occupaient les Canadiens français dans la vie économique canadienne. On cherchait à en analyser les causes et à en mesurer les conséquences. Comme aujourd'hui, le système d'enseignement était à cette occasion l'objet de critiques sévères : il apparaissait comme l'une des causes de la situation présente ; mais on y voyait aussi un espoir à la condition qu'il subisse une profonde réforme de structure. On ne s'étonnera donc pas de voir Léon Gérin consacrer une partie de son œuvre aux problèmes de l'éducation. S'inspirant du cadre d'analyse de l'École de la Science sociale, particulièrement de de Tourville et Demolins, il a bien compris que l'éducation de la jeunesse posait des problèmes qui se situaient dans la ligne des monographies de familles qu'il avait entreprises. C'est ainsi qu'il fut conduit, d'une part à publier des études sociologiques et historiques sur l'enseignement dans la revue La Science sociale et dans le Bulletin des recherches historiques, d'autre part à exposer ses vues personnelles de façon plus simple et plus accessible dans les journaux du temps. On m'a demandé, pour faire suite à l'exposé d'ensemble de monsieur Falardeau, de présenter les recherches et la pensée de Léon Gérin sur cette question plus particulière de l'éducation. Moins connue que ses monographies, l'étude de Léon Gérin sur l'éducation n'en constitue pas moins, à mon sens, une des parties les plus importantes de son œuvre. C'est d'ailleurs sur cette question que Léon Gérin a proposé avec le plus de fermeté les réformes qu'il jugeait nécessaires. Car, en cette matière, il s'est affirmé réformateur tout autant que sociologue. Aussi, pour rendre compte de la pensée de Léon Gérin telle qu'elle nous est apparue, nous analyserons, dans une première partie, l'interprétation sociologique qu'il a voulu donner de la situation de l'enseignement dans la province de Québec ; nous résumerons, dans une seconde partie, les réformes qu'il a proposées à la suite de ces études.

2005 ◽  
Vol 6 (1) ◽  
pp. 9-22 ◽  
Author(s):  
Fernand Dumont

Dans une étude récente, Henri Lefebvre propose de distinguer la conscience, le psychisme et Y idéologie de classe. La spécificité de l'idéologie par rapport aux deux autres composantes apparaît aisément. D'une part, ses fabricateurs sont généralement extérieurs aux classes impliquées. D'autre part, l'idéologie se fonde avant tout sur le besoin de donner cohérence à des situations. D'où vient cette exigence de cohérence ? D'abord, sans doute, du souci de fournir une représentation quelconque des rapports de la conscience de classe et du psychisme de classe. Mais aussi de la nécessité de mettre en relations le système de classes et la société globale. Insistons sur cette dernière proposition : elle indique le cadre de l'analyse qui va suivre. On peut postuler qu'il est particulièrement important, pour la société globale, de ramener les classes à une quelconque systématisation fonctionnelle, car leur existence est, pour elle, le défi le plus grand. Songeons, par exemple, à la nation. Se représenter la collectivité en termes ethniques ou en termes de classes : n'est-ce point une des questions, un des problèmes les plus décisifs qui tourmentent l'Occident depuis des siècles et qui ont gagné maintenant les pays en voie de développement ? Le conflit mérite d'autant plus de nous retenir que la distinction des trois éléments des classes que nous avons évoqués paraît être tout aussi valable et même nécessaire pour la société globale elle-même. Ici encore on pourrait parler de conscience, de psychisme et d'idéologie de la nation. De même, la fonction intégratrice des idéologies est primordiale. Car on ne saurait rendre compte de la cohésion qu'implique la nation en évoquant seulement un vague sentiment d'appartenance. Par ailleurs, les facteurs dits « objectifs » (comme la langue, la religion, l'organisation politique) varient d'une nation à l'autre, et même, pour une nation donnée, selon les phases historiques. Et les groupements, à l'intérieur d'une nation, ne sont pas toujours d'accord sur les mêmes facteurs d'intégration : on pense, par exemple, aux perpétuelles discussions sur la nation canadienne-française et sur la nation canadienne. D'où la fonction déterminante des idéologies qui réunissent, dans une sorte de « théorie », des conditions préalables comme la communauté de langue, de religion, etc., tout en se nourrissant de la conscience diffuse de traits distinctifs et d'une relative opposition à des autrui (c'est-à-dire, à d'autres nations). Le problème ainsi posé est particulièrement passionnant si on le traduit dans le contexte canadien-français. Nous sommes devant une nation qui s'est donné ses premières définitions idéologiques d'elle-même au moment où elle était encore une « société paysanne ». Elle a subi ensuite, à un rythme extrêmement rapide, l'impact de l'industrialisation. Si on ajoute à cela un angoissant voisinage avec l'Anglais et l'Américain, beaucoup plus riches et maîtres du pouvoir économique, on admettra qu'il s'agit d'un très beau cas où devraient nous apparaître certains mécanismes exemplaires de syncrétisme dans les définitions idéologiques des classes et de la société globale. Durant un siècle — en gros, des années 1840 aux lendemains de la dernière guerre — une idéologie très organique a régné ici presque sans conteste. Nous ne reprendrons pas ici la démonstration du caractère unitaire de cette idéologie ; nous l'avons esquissée dans d'autres travaux et, d'ailleurs, il existe à ce sujet une certaine unanimité des chercheurs canadiens-français. Nous nous attacherons plutôt, dans une première partie, à éclairer la constitution de cette idéologie et à repérer ses définiteurs en tâchant de déceler leur allégeance de classe. Nous analyserons brièvement, dans une deuxième partie, les grands thèmes de cette idéologie, en dégageant naturellement surtout la représentation des classes. Nous tâcherons enfin, dans une brève section finale, de formuler quelques hypothèses sur les remaniements impliqués par la crise profonde que traverse actuellement le Canada français. Nous nous imposerons ainsi un long détour historique, mais celui-ci est suggéré par la nature même du phénomène qui nous intéresse.


2005 ◽  
Vol 14 (2) ◽  
pp. 203-228 ◽  
Author(s):  
Fernand Larouche

Certaines études ont démontré que, dans leurs relations avec les immigrants, ils se laissent orienter par des attitudes négatives envers ceux-ci. Ces attitudes qui témoignent de nombreux aspects de notre histoire et de notre situation sociale ont déjà été rassemblées dans cette formulation : « À cause des immigrés qui reçoivent toutes les laveurs du gouvernement et des employeurs, les Canadiens français se voient relégués aux postes les plus humbles. C'est une injustice flagrante à l'égard de ceux qui ont fondé, colonisé et développé le pays. On leur conteste le droit de commander dans leur propre pays. On veut noyer la race canadienne-française par l'immigration. Ce sont les Anglais qui veulent surtout la détruire, et c'est pour cela qu'ils donnent toujours la préférence aux immigrés. Sans l'immigration, les Canadiens français pourraient bientôt devenir majoritaires par le simple fait de leur accroissement naturel. »: Cette constellation d'attitudes serait partagée par 77% des Canadiens français. La position dominante (44.65%) chez le groupe Canadien anglais est beaucoup plus positive; elle a été formulée comme suit: « Pour accéder au rang de grande puissance, le Canada devra accroître sa population. Par ailleurs, il faut choisir des candidats assimilables par l'élément anglo-saxon du pays, ou, du moins, qui ne bouleversent pas la présente situation ethnique. » Ces recherches démontrent également que le premier déterminant de ces attitudes est le facteur ethnique. « Chaque groupe ethnique aborde le problème de l'immigration d'abord en fonction de sa survivance. » C'est également la position qu'adopte le professeur Garigue. Bernard Mailhot, pour sa part, voit dans cette prédominance du facteur ethnique, une manifestation de ce sentiment de minorité, commun à chaque groupe ethnique, et qui engendre la création de barrières défensives étouffant l'émergence possible de zones d'échanges entre ces groupes. L'ensemble de ces recherches constitue certainement un apport considérable en ce qui a trait au problème des relations ethniques au Canada français. Elles suggèrent que les attitudes envers les immigrants sont largement déterminées par les relations déjà existantes entre Canadiens français et Canadiens anglais. Toutefois, en abordant cette question par le biais du concept d'« attitude », elles en arrivent à une définition de la situation qui met en évidence une certaine polarisation des sentiments réciproques des groupes en présence. Pour notre part, nous croyons que le processus d'interaction construit par les acteurs sociaux au niveau du vécu recèle des éléments beaucoup plus complexes et nuancés que nous le laissent entendre les résultats des recherches précédentes; les significations qu'ils donnent à leurs relations s'ajustent, se modifient et sont constamment réinterprétées tout au long des interactions. C'est cet aspect de la situation que nous voudrions faire ressortir dans cette étude.


2005 ◽  
Vol 8 (1) ◽  
pp. 15-47 ◽  
Author(s):  
Marc-André Lessard ◽  
Jean-Paul Montminy

Au mois de janvier 1965, la Conférence religieuse canadienne (C.R.C.), section féminine, lançait à travers tout le Canada une vaste enquête sociographique pour tenter de définir et de préciser la situation des religieuses de notre pays. Le travail, qui avait demandé une longue préparation, devait se poursuivre pendant six mois et permettre la publication d'un rapport préliminaire (été 1965) à l'usage exclusif de la C. R. C. Pour un public élargi, un rapport plus complet paraissait à l'automne 1966. Avant d'aller plus loin, il convient cependant d'indiquer en toute honnêteté les limites de notre travail. Nous le disions à l'instant, il s'agit d'une recherche sociographique visant à un recensement des religieuses du Canada. Un ensemble de questions fermées demandait aux supérieures des renseignements sur l'âge, les qualifications académiques, les origines familiales, l'endroit de résidence de leurs religieuses, etc. Le Père Fulgence Boisvert, o.f.m., du secrétariat permanent de la C. R. C. et ses assistants ont assumé la tâche de recueillir les informations et d'en faire une première interprétation. Ils ont pu repérer 197 instituts canadiens, membres ou non de la C. R. C , à qui ils ont fait parvenir le questionnaire. De ce nombre 183 instituts ont répondu fournissant des renseignements pour 65,248 religieuses. Comme les 14 institutions, qui n'ont pas répondu au questionnaire, auraient pu donner des informations pour environ 700 religieuses, on constate que 98.9% des religieuses sont concernées par notre rapport. Le lecteur notera que les statistiques d'ensemble ne sont pas toujours les mêmes. Cela tient au fait que les questions n'ont pas toujours été bien comprises par toutes les religieuses ou encore qu'on a omis la réponse à certaines questions. Nous indiquerons en temps et lieu les statistiques générales sur lesquelles nous nous appuierons. Il a paru très utile aux chercheurs de classifier les instituts selon trois grandes variables : l'ordre d'ancienneté, l'ordre de grandeur et la fonction principale qu'ils remplissent. Dans ce dernier cas, sept types de fonction ont été déterminés : contemplatives, missionnaires, hospitalières, éducatrices, éducatrices-hospitalières, œuvres sociales et auxiliaires du clergé (ménagères). Personne, croyons-nous, ne contestera le choix de ces sept types qui couvrent les principales fonctions des religieuses canadiennes. Mais une réelle difficulté survient quand on veut identifier chacun des instituts selon son appartenance à l'un ou l'autre des sept types de fonction. En effet, il est assez difficile de bien connaître chacun des 183 instituts et d'en préciser la fonction dominante. Certains instituts ont même adopté récemment de nouvelles orientations, s'adonnant aujourd'hui à des œuvres que n'avaient pas prévues les fondatrices. De toute évidence, la classification des instituts selon leur fonction principale demeure plus discutable que les deux autres classifications : l'ordre d'ancienneté et l'ordre de grandeur, qui sont plus mathématiques et plus objectives. Cependant, malgré les erreurs auxquelles elle expose et malgré les contestations qu'elle peut susciter, la classification des instituts par type de fonction principale s'est révélée particulièrement utile et révélatrice dans nos diverses analyses sur le monde des religieuses. Les différentes sections du rapport de l'enquête sont donc axées autour de trois variables principales : l'ordre d'ancienneté, l'ordre de grandeur, le type de fonction dominante. Le rapport se divise en deux grandes parties : les religieuses du Canada : état actuel ; les religieuses du Canada : changements récents. La première partie comprend sept sections portant successivement sur : le nombre et la taille des instituts, l'origine et l'ancienneté des instituts, les fonctions des instituts, les différences régionales, l'âge des religieuses, les origines familiales et les qualifications académiques, La seconde partie comprend deux sections : l'évolution numérique, le recrutement et la persévérance des religieuses. Pour le présent article, nous avons choisi deux sections de l'ensemble du rapport : l'âge des religieuses, leur recrutement et leur persévérance. Comme nous le verrons, ces deux sections couvrent les aspects les plus caractéristiques de la situation chez les religieuses canadiennes. Enfin, nous tenons à avertir le lecteur de ne pas chercher dans notre travail des conclusions définitives et sans appel. Pour y parvenir, il eût fallu posséder un matériel beaucoup plus complet. Il eût fallu également s'astreindre à de longues et patientes incursions dans l'histoire de chacun des instituts religieux et aussi dans l'histoire religieuse du Canada. On comprendra facilement que cela dépassait les limites d'une recherche sociographique.


2016 ◽  
Vol 35 (2-3) ◽  
pp. 39-64
Author(s):  
Maud Gauthier-Chung

« On ne naît pas femme : on le devient », écrivait Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe, énonçant, pour la première fois dans l’histoire, l’idée que la féminité devait être comprise comme un produit social plutôt que comme un donné naturel. En vue des inégalités sociales et économiques auxquelles mène l’intégration des modèles genrés féminins, serait-il légitime de tenter de bouleverser ou même d’interrompre, sur le plan politique, le processus social du « devenir femme » ? Cet article se veut une tentative de réponse partielle à cette question, à partir de la perspective du libéralisme politique. Abordant le cas des inégalités économiques entre les hommes et les femmes au Canada, la première partie explore les tensions entre la promotion de l’égalité entre les sexes et l’impératif libéral de respect des choix individuels. Plusieurs féministes ont, en effet, soutenu qu’il est impossible, à partir d’un cadre libéral, de rendre compte des inégalités relatives au genre et d’y remédier, puisque celles-ci découlent de choix et de préférences liés aux conceptions de la « vie bonne » individuelles. La deuxième partie porte, quant à elle, sur la politique qui semble expliquer le succès des pays présentant la plus grande parité entre les sexes, soit les quotas de congés parentaux pour les pères. La troisième partie examine cette politique dans une perspective critique afin de dégager les principaux arguments qui militent contre l’implantation de tels quotas dans une société libérale. Contre ces arguments, la dernière partie fait la démonstration qu’il serait non seulement cohérent d’implanter une telle politique dans une société libérale, mais que celle-ci constitue un impératif en regard de la raison d’être du libéralisme comme forme d’organisation sociale.


2005 ◽  
Vol 2 (1) ◽  
pp. 69-100 ◽  
Author(s):  
Léon Dion
Keyword(s):  

Dans le numéro précédent de cette revue, Léon Bien a étudié le libéralisme du statu quo au niveau de l'idéologie : Il a montré les conséquences du refus d’ajuster les principes libéraux aux conditions de la civilisation industrielle américaine. Il analyse ici les manifestations de ce refus: sur le plan juridique. Nous avons souligné déjà l’importance de ces travaux dans la perspective des études comparatives sur le Canada français.


2002 ◽  
Vol 29 (2) ◽  
pp. 163-170
Author(s):  
Roberto MIGUELEZ

Résumé Si les histoires de vie ont un degré variable de généralisation, dépendant essentiellement de leur degré de typicité, elles peuvent posséder par contre un potentiel heuristique non négligeable. À partir de l'histoire de vie d'un sociologue, cet article se propose d'examiner la manière dont les enjeux idéologiques d'une époque et d'une société ont influencé la reflexion sociologique. Il y est notamment question de quatre époques, trois sociétés, et quatre enjeux idéologiques : le début des années soixante, l'Argentine, et l'institutionnalisation académique de la sociologie ; la fin des années soixante, la France, et le débat de la gauche ; le début des années soixante-dix, le Canada français, et le mouvement nationalitaire ; enfin, la fin des années soixante-dix, le Canada français, et les revendications des groupes " minoritaires ". L'examen de cette influence vise surtout les conséquences de celle-ci aux niveaux épistémologique et institutions de la discipline.


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