Roland Barthes et son Journal : de l’inclination à la délibération
Résumé C’est à l’occasion d’une circonstance malheureuse, celle de la maladie de sa mère bientôt mourante, que Roland Barthes s’essaie à l’écriture diariste, à Urt en 1977. Cette brève initiation à l’écriture journalière devient rapidement un important sujet de réflexion : « Je n’ai jamais tenu de journal — ou plutôt je n’ai jamais su si je devais en tenir un », déclare-t-il en 1979, en ouverture de son article « Délibération » paru dans le numéro 82 de Tel Quel. La question, en effet, requiert pour le moins une délibération : tout se passe comme s’il s’agissait de trouver de nouvelles raisons de douter, quitte à déplacer la suspicion initiale sur le bien-fondé d’une pratique vers la mise en cause de sa valeur littéraire puis vers celle de sa « publiabilité ». À court d’arguments destinés à sauver le Journal d’une littérature sans preuves où le confinent sa valeur incertaine et sa redondance, la sinueuse délibération personnelle de 1979 ne parvient au mieux qu’à lui découvrir une littérarité douteuse, avant d’éluder la question de l’écriture diariste en l’orientant vers l’utopie d’un Journal idéal qui serait rythme et leurre, qui inscrirait dans l’idiorrythmie de sa structure une conduite de vie idéale et déjouerait les pièges de l’Imago. Cet article s’emploie à cerner les enjeux de l’écriture barthésienne du journal personnel afin de mettre en évidence son importance comme clé de relecture de la production du « dernier Barthes ». Digressive et intermittente, souple et expérimentale, l’écriture du Journal s’avère convenir à la « papillonne » d’un observateur du quotidien à qui elle offre les avantages d’une pratique personnalisée et cumulative de la notatio, à condition toutefois d’affranchir cette dernière de l’infatuation du narcissisme, non assimilable à la véritable subjectivité.