L’abus de droit : l’anténorme — Partie 1
La théorie de l’abus de droit est une théorie de la législation. Elle a pour objectif d’encadrer l’application des droits prescrits par les lois. Le titulaire d’un droit engage sa responsabilité lorsque l’acte qu’il autorise ordinairement est animé par l’intention de nuire. C’est là la formule du Code civil du Québec qui, en 1994, en a consacré le principe. Le principe de responsabilité que pose l’abus demeure toutefois problématique en ce sens qu’il vise des activités que la loi permet a priori. La théorie de l’abus donne en effet aux tribunaux le moyen de lever cette immunité de sorte que l’acte pourtant conforme à la lettre de la loi devient contraire à son esprit, c’est-à-dire au droit. C’est en ce sens que l’on peut dire que l’abus est l’anténorme. Ce principe de superlégalité donne une place de premier plan au pouvoir judiciaire : « par la jurisprudence, mais au-delà de la jurisprudence », écrivait Josserand. Il ne s’agit pas de donner aux tribunaux le droit de légiférer, mais plutôt d’éviter, dans des cas exceptionnels, la tyrannie des droits. L’étude de la théorie de l’abus de droit nous invite à redécouvrir les premiers mouvements de la pensée socialisante du début du vingtième siècle. Est abusif l’usage asocial d’un droit individuel. L’abus doit être ainsi replacé dans le contexte d’une doctrine civiliste fleurissante qui s’inscrit contre la méthode de l’exégèse et le subjectivisme juridique. Mais l’intérêt de son étude n’est pas simplement historique. Elle offre l’hypothèse particulièrement attrayante d’une nouvelle application. Né à une époque où le juriste s’interroge sur les imperfections d’une législation qui se complexifie, l’abus semble tout particulièrement adapté pour s’appliquer dans des disciplines fortement réglementées et sujettes au changement, telle la propriété intellectuelle ; une matière dont on déplore régulièrement les dérives et les abus. Ce texte est la première partie d’un article publié en deux numéros.