Il est difficile de traiter les personnes qui ont été victimes d’un inceste, en partie à cause de leur culpabilité sous-jacente et réticence à partager la douleur et de la rage qu’elles ressentent envers celui qui a abusé d’elles, qui se trouve fréquemment être un membre de la famille qu’elles aiment. Cet article rend compte du déroulement du traitement d’une femme de 47 ans victime d’inceste qui a souffert de dépression et présenté des idées suicidaires pendant plus de 12 ans. Pendant cette période, elle a suivi divers traitements: psychothérapie, multiples médications, et sismothérapie. Malgré cinq hospitalisations et tous les traitements que nous avons mentionnés, son état ne faisait qu’empirer. Lorsqu’elle a été admise à l’Hôpital C. F. Menninger Memorial de Topeka, Kansas, Andrea présentait une symptomatologie multiple. Elle avait des troubles de la mémoire, était incapable de se concentrer, et ne s’intéressait à rien. Elle se sentait sans espoir et sans secours, et avait fait deux tentatives de suicide, l’une en 1971, l’autre en 1991. Elle disait ne plus se souvenir de portions entières de sa vie, et rapportait que sa dépression l’avait rendue incapable de faire face à la moindre situation de la vie quotidienne. C’est l’examen psychologique d’Andrea, pratiqué au début de sa prise en charge, qui nous a fourni le schéma de son traitement. On y voyait une Andrea qui, tout en apparaissant sans défense, abandonnée, passive et malheureuse, faisait des efforts considérables pour rester coupée d’elle-même et des autres. Elle craignait d’être submergée par de puissants affects et gardait ses distances; et pourtant, elle craignait la solitude. Cette lutte interne pour tenter de trouver un compromis entre ces deux extrêmes consommait une quantité considérable d’énergie et contribuait à son aspect sans vie et inefficace. Les résultats des tests indiquaient qu’il serait dangereux de prendre son apparence pour argent comptant, car il y avait beaucoup de choses sous la surface. Elle était terrifiée à l’idée d’explorer et négocier ses expériences intérieures, et se considérait comme faible et sans défense. Toutefois, les résultats des tests confirmaient aussi qu’elle avait plus de ressources disponibles qu’elle ne voulait reconnaître. Conscients des appels à la prudence indiqués par l’examen psychologique, le travail avec Andrea fut soigneusement dosé en fonction de sa capacité, et on la poussa doucement en avant chaque fois qu’elle hésitait à avancer. Après un peu plus de deux ans de thérapie, et lorsque le progrès était évident, Andrea exprima des inquiétudes, disant qu’elle faisait semblant, qu’elle n’avait fait aucun progrès, et qu’il suffirait qu’elle change d’environnement pour que ses anciens symptômes reviennent. On lui proposa alors un deuxième examen psychologique. Andrea aborda la session avec plaisir, mais aussi avec une certaine nervosité. Son Rorschach était maintenant très différent, avec beaucoup plus de réponses que la première fois. Ses percepts étaient élaborés et commentés. Un changement substantiel était évident. Le rendu de l’examen psychologique fut un épisode particulièrement riche. Il permit à Andrea de reconnaître combien elle avait effectivement changé pendant sa thérapie. Andréa s’est sentie disculpée de voir combien elle avait réellement été malade, qu’elle n’avait pas “fait semblant”, ni “tout inventé”. Cela n’avait pas été “seulement dans sa tête”. Plus tard, Andrea reconnut en riant que “ça l’était justement peut-être”. Le fait de prendre part à la discussion de ses résultats donna à Andrea une autre façon de se penser elle-même, et de penser son évolution, et le matériel devint une source d’encouragement et un étayage qui lui permit d’aborder son avenir avec plus de confiance.