Anthropologie économique et histoire

1974 ◽  
Vol 29 (6) ◽  
pp. 1311-1319 ◽  
Author(s):  
Lucette Valensi

Il y a bientôt trente ans que l'essentiel des idées de Karl Polanyi a été publié; près de vingt que les controverses se sont engagées, dans le monde anglo-saxon, sur la validité de ses hypothèses; bien plus longtemps encore qu'il manque aux sciences sociales une théorie adaptée aux sociétés non capitalistes. Et pourtant Karl Polanyi est mal connu en France et, en dépit des traités de paix maintes fois renouvelés entre historiens et anthropologues, une sorte d'écran ne laisse percevoir aux premiers que certaines voix des seconds.

2014 ◽  
Vol 18 (1) ◽  
pp. 17-34
Author(s):  
J.A. Raftis

Sommaire L'histoire de la dernière encyclique, MATER ET MAGISTRA, illustre d'une façon dramatique, dans notre société contemporaine, la division du travail entre les relations publiques et le domaine académique. Dans le monde anglo-saxon au moins cette encyclique est celle qui a connu la plus large diffusion et qui a été la mieux reçue de toutes les encycliques sociales. Par ailleurs, il semble évident que moins qu'à toutes les autres on a apporté un intérêt soutenu. On a pas à chercher bien loin pour trouver la raison de cette indifférence générale. MATER ET MAGISTRA n'est pas seulement un document à l'occasion d'une crise ou, d'un problème. Elle est l'aboutissement de tout un siècle de développements académiques. D'une part, la doctrine sociale est seulement un segment d'une demi-douzaine de champs théologiques revitalisés. D'autre part, le fossé entre les sciences sociales et les champs de pensée plus traditionnels s'est graduellement rétréci. RERUM NOVARUM (1891) a ouvert la théologie à la science politique, QUADRAGESIMO ANNO (1931) a évidemment utilisé les principes économiques modernes et maintenant MATER ET MAGISTRA (1961) utilise la sociologie. Les experts en sciences sociales sont bien conscients de l'intérêt croissant chez leurs collègues depuis plusieurs générations au sujet du bien-être, des valeurs, des lois naturelles, des insuffisances du pragmatisme. Lorsque les dimensions proprement académiques de cette encyclique sont reconnues, il s'en suit immédiatement que cette doctrine nécessite pour son exposition un statut académique approprié. En premier lieu, il ressort de la structure de MATER ET MAGISTRA que l'étudiant de la théologie sociale doit nécessairement s'appuyer sur le spécialiste en sciences sociales. En second lieu, l'étudiant de la théologie sociale doit reconnaître que l'homme moderne désire une philosophie sociale adéquate. C'est une exigence beaucoup plus englobante que celle des encycliques précédentes. Il ne suffit plus maintenant de condamner l'individualisme et le scientisme du XIXe siècle, ou d'encourager davantage l'association — une union par-ici, une coopérative par là. Comme le préconise avec insistence le Pape Jean, une option morale positive de l'organisation ou de la socialisation est nécessaire à tout homme dans la société moderne. Alors qu'il est évident pour celui qui analyse ces questions que tout le pouvoir moral de la religion sera nécessaire afin de dissiper l'ensemble des accréditations religieuses et de la loi naturelle acceptées par l'individualisme de notre société industrielle ou le socialisme des autres traditions, la question présente de nouveaux aspects. Il y a déjà une évidence abondante que les professeurs des matières philosophiques et théologiques traditionnelles ne réaliseront pas la nécessité actuelle d'une philosophie sociale articulée s'ils n'empruntent pas aux spécialistes des sciences sociales la signification et l'importance de la socialisation aujourd'hui. De plus, c'est seulement de l'esprit en sciences sociales que le philosophe social apprendra l'apport réaliste de la remarque du Pape Jean à l'effet que dans le milieu social moderne un certain déterminisme ne cause pas de préjudice à la liberté. La récente étude de Robert A. Brady sur la place des standards dans la civilisation en est un excellent exemple (Organization, Automation, and Society, ch. IV). L'importance croissante de l'étudiant des sciences sociales est aussi un autre indice du rôle croissant de l'apostolat laïc pour l'avenir de la doctrine sociale.


2014 ◽  
pp. i-xxvii ◽  
Author(s):  
Jérôme Courduriès ◽  
Cathy Herbrand

Ce numéro d’Enfances Familles Générations propose de se pencher sur les problématiques actuelles soulevées par les techniques de reproduction assistée (TRA) au regard des questions de parenté et de genre. Si, dans un monde globalisé, diverses possibilités reproductives sont désormais accessibles, celles-ci soulèvent de nombreuses questions socioanthropologiques du point de vue des rapports de pouvoir qu’elles engendrent, des pratiques et des régulations parfois très différentes dont elles font l’objet, ainsi que des significations individuelles et culturelles qui leur sont attribuées. Ces questions ont donné lieu à une littérature riche et abondante au cours des trente dernières années, en particulier dans le monde anglo-saxon. Cet article introductif est ainsi l’occasion de faire dialoguer davantage, en soulignant leurs apports respectifs, des travaux relevant de traditions différentes, en particulier dans les mondes francophones et anglophones. À partir de ce bilan des questionnements majeurs qu’a suscités l’étude des TRA dans les domaines du genre et de la parenté, nous soulignons les enjeux qui restent en suspens et qui mériteraient selon nous de faire l’objet de plus amples investigations. Le fil conducteur de notre propos, sur la base de la littérature disponible et des enquêtes menées jusqu’ici en sciences sociales, est d’insister sur la dimension du genre comme inextricable de l’expérience et de l’étude des techniques de reproduction assistée.


Author(s):  
Jean-Claude Passeron

La distance évidente qui sépare la catégorisation statistique de la conceptualisation sociologique est souvent traitée par les sociologues comme une distance hiérarchique qui séparerait une approximation opératoire et formelle de la saisie signifiante et substantielle des phénomènes, geste suprême réservé à la sociologie. Le contenu corporatiste d’un tel programme ne devrait pas dissimuler aux sociologues son risque essentiel, celui de pratiquer l’auto-suffisance théorique d’une sociologie qui n’aurait de comptes à rendre qu’aux constats qui la confortent et qui se réserverait de porter au passif des imperfections mécaniques de l’instrument statistique ce que celui-ci ne vérifie pas des constructions conceptuelles du discours sociologique. À la limite, la signification du raisonnement statistique ne pourrait lui advenir que de l’extérieur : ce serait toujours à lui de s’amender pour mériter de servir par ses « constats illustratifs » des énoncés sociologiques qui tirent d’ailleurs leur « évidence ». De leur côté, les statisticiens ne sont évidemment pas en reste en matière d’épistémologie corporative. Accoutumés aux exigences du recueil et du traitement de l’information et sachant ce qu’il en coûte d’arriver à homogénéiser les données économiques et sociales, ils sont inévitablement enclins, pour préserver l’univocité des énonciations portant sur des constats de recensement ou de corrélation si chèrement acquis, à une défiance généralisée envers tout changement du langage d’énonciation des constats de base, autrement dit à marquer une réticence de principe envers l’interprétation conceptuelle, toujours suspecte de surinterprétation polysémique. À la limite, les « langues artificielles », comme la langue tabulaire du tableau croisé ou la langue graphique des plans factoriels, seraient les seules à ne pas déformer les énoncés d’observation et de traitement, dont l’expression en « langue naturelle » majorerait toujours le sens de manière incontrôlée et incontrôlable. Il y a pourtant un accord latent entre ces deux épistémologies coutumières lorsqu’elles atteignent leur forme limite : elles semblent bien convenir que le discours statistique et le discours sociologique diffèrent intrinsèquement par leur nature assertorique. On part ici, tout au contraire, du postulat épistémologique que toutes les conceptualisations opérées à partir de l’observation du monde historique possèdent, en tant qu’abstractions scientifiques, une pertinence empirique commune ou, si l’on veut, que les énonciations des différentes sciences sociales ne peuvent avoir qu’une seule indexation de vérité : l’observation historique par quelque méthode qu’on l’opère, même si elles diffèrent par la logique des raisonnements qui mettent en œuvre les constats issus de cette observation.


1990 ◽  
Vol 45 (1) ◽  
pp. 123-136 ◽  
Author(s):  
André Burguière
Keyword(s):  
De Se ◽  
Il Y A ◽  

Au moment où les sciences sociales traversent une crise profonde, à la fois crise d'identité vis-à-vis d'elles-mêmes et crise de crédibilité vis-à-vis de l'opinion, qui s'étonnera de voir renaître, dans la communauté historienne, diverses critiques à l'endroit des Annales. Le mouvement lancé il y a soixante ans par Bloch et Febvre, tel que ses initiateurs l'ont conçu et tel qu'il demeure est le lieu par où l'histoire communique avec les sciences sociales, avec leurs exigences herméneutiques, mais aussi avec leur difficulté d'être.Certains affirment que l'école des Annales n'a plus de raison d'exister puisque ses idées et son programme sont désormais acceptés par tout le monde, mais qu'il convient plutôt de se préoccuper des lacunes de ce programme, en particulier la mise entre parenthèses de l'histoire politique.


2007 ◽  
Vol 62 (2) ◽  
pp. 267-272 ◽  
Author(s):  
Philippe Urfalino
Keyword(s):  
Il Y A ◽  

Les trois articles qui suivent ont une caractéristique remarquable : le médicament est au coeur de leur objet et de leur questionnement. La chose n’est plus exceptionnelle mais elle reste rare. Il y a encore peu de temps, le médicament ne bénéficiait d’un intérêt marqué parmi les sciences sociales ou humaines que chez les économistes et les juristes. Si l’on se cantonne à la sociologie de langue française, l’absence du médicament, non seulement comme objet d’études mais même comme simple élément pertinent d’une réalité plus vaste, dans deux récents manuels de sociologie de la médecine et des maladies1 indique combien la littérature dont ils restituent les principaux apports a pu faire l’impasse sur le remède, aussi bien comme partie prenante des pratiques que comme source d’interrogations et de mobilisations. L’accent dominant, depuis les années 1960, mis par la sociologie de la médecine et de la santé sur les organisations, les interactions et les professions, n’a pas facilité, semble-t-il, l’intérêt pour un objet à la fois industriel, marchand et scientifique, mobile au point de n’être circonscrit à aucun espace institutionnel ou professionnel spécifique.


1958 ◽  
Vol 13 (4) ◽  
pp. 725-753 ◽  
Author(s):  
Fernand Braudel

Il y a crise générale des sciences de l'homme : elles sont toutes accablées sous leurs propres progrès, ne serait-ce qu'en raison de l'accumulation des connaissances nouvelles et de la nécessité d'un travail collectif, dont l'organisation intelligente reste à mettre sur pied ; directement ou indirectement, toutes sont touchées, qu'elles le veuillent ou non, par les progrès des plus agiles d'entre elles, mais restent cependant aux prises avec un humanisme rétrograde, insidieux, qui ne peut plus leur servir de cadre. Toutes, avec plus ou moins de lucidité, se préoccupent de leur place dans l'ensemble monstrueux des recherches anciennes et nouvelles, dont se devine aujourd'hui la convergence nécessaire.


Author(s):  
Didier Renard
Keyword(s):  
Il Y A ◽  

Il y a crise du social en ce sens que les modalités de financement du secteur sont obsolètes et que leur inévitable transformation est douloureuse, ou encore dans le sens que l’appauvrissement général de la société retentit plus visiblement sur la situation de ceux qui y étaient déjà le plus mal intégrés. Mais ces changements n’ont rien que de normal. Quant aux savoirs, aucune frontière naturelle ne sépare leurs aspects institutionnels de leurs aspects intellectuels. Le sentiment de leur éparpillement va de pair avec le morcellement des institutions qui les symbolisent. Mais cet émiettement a toujours existé et l’on peut émettre quelques craintes vis-à-vis de l’idéal du paradigme unificateur. La domination intellectuelle d’une idée s’accompagne trop souvent de la domination institutionnelle de ceux qui la soutiennent pour qu’on puisse appeler de telles situations de ses voeux. Alors de quelle crise des savoirs parle-t-on ? Les sciences sociales n’ont-elles pas toujours connu cet éclatement ? Cette prétendue crise pourrait plutôt participer du continuel mouvement des idées, sans qu’il faille y voir aucune rupture qualitative. Peut-être même la tendance est-elle à plus d’unité qu’il n’y en eut jamais.


1970 ◽  
Vol 3 (3) ◽  
pp. 345-358
Author(s):  
Douglas V. Verney

Ce rapport invite les politologues à prendre quelque distance à l'égard des standards américains et à conserver plus de liberté à l'égard des engouements à la mode, chacun devant davantage s'affirmer comme individu plutôt que comme membre de telle école ou génération particulière. Si la science politique canadienne a bien accueilli le renouveau des techniques, elle devrait par contre mieux distinguer ce qui constitue des idées nouvelles de ce qui n'est en fait que de nouvelles techniques. Quoique scientifiques dans leur quête de la vérité, les politologues canadiens n'ont pas abandonné pour autant les perspectives historique et philosophique, la plupart s'adonnant à la fois à l'enseignement et à la recherche.L'intérêt récent pour les processus politiques ne devrait pas faire oublier l'importance que la science politique a toujours accordé à la nature du gouvernement. De même, l'attrait pour le régime présidentiel ou pour le gouvernement d'assemblée ne devrait pas masquer le succès assez général du parlementarisme. Il semble que le système fédéralo-parlementaire du Canada, actuellement en évolution, pourrait s'instruire de l'expérience européenne.L'accès nouveau des masses à l'éducation supérieure constitue en défi car, bientôt, les études supérieures. à elles seules auront une clientèle aussi large que celle des universités entières, il y a trente ans. La « professionalisation » des études, qui en découle, peut être valable, à condition de ne pas engendrer la substitution d'un entraînement technique à une formation de base qui permette à chacun de penser par lui-même. Il se peut que les politologues soient obligés de s'intéresser davantage que par le passé aux sciences sociales appliquées, l'éducation par la recherche étant désormais aussi importante que celle fournie par l'enseignement magistral. Les professeurs d'origine canadienne, surtout dans les jeunes universités, doivent veiller à ce que l'héritage canadien, en science politique, ne soit pas perdu car, après tout, l'éducation n'est peut-être pas autre chose que la socialisation.


2013 ◽  
Vol 45 (1) ◽  
pp. 301-333 ◽  
Author(s):  
Peter Hicks ◽  
Isabelle Malo

Les perspectives fondées sur les parcours de vie jouent seulement un rôle modeste dans l’élaboration des politiques sociales actuelles. Cependant, une fois que les concepts de « parcours de vie » seront utilisés sur une base régulière en statistiques sociales et que les outils analytiques de soutien seront entièrement développés, ces perspectives auront le potentiel d’améliorer de façon radicale l’analyse de politiques concrètes. Afin de donner une idée générale de la portée de ce changement, le présent article examine un ancien cadre de « comptabilité sociale », élaboré il y a environ trois décennies, afin d’appuyer la politique sociale de cette période préinformatique, axée sur le gouvernement et modelée sur la pensée de l’État-providence. L’article compare ce cadre avec le cadre « Olivia » actuel, créé pour appuyer le concept de société habilitante de la politique sociale en émergence axée sur le citoyen, en cette ère de l’information. La principale différence réside dans l’élargissement des perspectives fondées sur les parcours de vie, conformément au travail de Paul Bernard. Ce dernier a ouvert des avenues nouvelles et potentiellement puissantes aux spécialistes en sciences sociales en leur permettant de contribuer de façon importante et concrète à une politique sociale plus pertinente et tournée vers l’avenir. Le présent article traite des façons par lesquelles toute recherche sociale peut influencer la politique. Il examine également les interactions entre les politiques sociales elles-mêmes, les données et les outils analytiques qui appuient ces politiques sociales et la technologie de l’information qui modifie à la fois les politiques et l’analyse. L’article conclut que de vastes transformations dans les domaines de la politique sociale et de l’analyse sociale sont imminentes, notamment l’abolition des frontières entre politique et analyse.


2019 ◽  
Vol 31 (1) ◽  
pp. 109-125
Author(s):  
Naomi Fortier-Fréçon ◽  
Leia Laing

L’intégration des thèmes reliés à la réconciliation tel que demandé dans les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada dans les cours de langue française permet aux élèves d’analyser les relations de pouvoir du discours normatif qui favorise le privilège blanc. Cependant, pour les élèves qui vivent dans un contexte où le français est la langue de la minorité, il y a aussi le défi d’avoir accès à des ressources appropriées et des opportunités d’utiliser la langue française à l’extérieur du contexte scolaire. Cette réalité peut favoriser une difficulté au niveau de la compréhension de thèmes complexes tels que la discrimination et le racisme. Cette situation peut avoir pour effet de complexifier l’apprentissage de la langue seconde. L’approche multidisciplinaire s’avère être une avenue pour encourager le développement langagier des élèves. Cet article relate une expérience menée auprès d’élèves du secondaire inscrit dans un programme d’immersion française dans le cadre de leur cours de français art langagier et de leurs cours de sciences sociales. L’expérience que nous avons vécue avec nos élèves dans le cadre de ce projet éducatif nous permet d’identifier ce qui contribue à transformer les attitudes et à encourager le changement social au sujet d’une meilleure compréhension des enjeux reliés à la culture et aux traditions autochtones au Canada tout en favorisant le développement de la langue française.


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